Vim pour les Ergonautes

kazé

J’anime des ateliers récurrents sur Vim depuis une douzaine d’années. Je suis également l’auteur de Qwerty-Lafayette et un contributeur actif d’Ergo‑L depuis deux ou trois ans.

Cet article fait suite à une conférence sur l’ergonomie vimiste que j’ai faite récemment aux JdLL. Je trouve que, pour un usage technique, utiliser Vim (ou Neovim, Kakoune, Helix, Doom-Emacs…) apporte une ergonomie très supérieure à ce que n’importe quelle disposition de clavier peut offrir : on écrit peu, et beaucoup de ce qu’on écrit est autocomplété.

Depuis 6 semaines je fais le test d’écrire en Ergo‑L au quotidien. Comment cela affecte-t-il ma productivité avec Vim ? Quelles sont les adaptations à faire pour Ergo‑L ? Y a-t-il une vie après HJKL ?

TL;DR : Vim fonctionne parfaitement en Ergo‑L, il suffit de ne PAS remapper HJKL.

Pourquoi HJKL ?

Historique

L’emplacement des touches hjkl est un hasard : comme Ctrl-h et Ctrl-j font Backspace et Line Feed (standard ASCII), donc gauche et bas, l’ADM-3A sur lequel a été codé Vi a élégamment complété avec Ctrl-k et Ctrl-l pour haut et droite.

Clavier de l’ADM-3A (1976)

Ces touches étant très proches de la position de repos en Qwerty, surtout jk qui tombent sous les deux doigts forts de la main droite, l’usage est resté. Et, clairement, la possibilité de toujours rester en position dactylo fait partie des gros gains de confort que l’on découvre avec Vim.

Ne PAS remapper HJKL !

À une époque fort, fort lointaine, où j’aimais déjà Vim mais contribuais beaucoup au projet Bépo, j’avais donc proposé de remapper les touches ctsr pour retrouver ce confort. Ce mapping est toujours très utilisé par les Bépoètes aujourd’hui.

Et c’était une erreur de débutant :

La suite de ce billet détaille comment mieux se déplacer dans Vim.

Mieux que HJKL : une couche de navigation

Se limiter aux flèches ou à HJKL est très sous-optimal dans Vim, mais on peut souhaiter avoir ce confort d’un pavé de flèches sous la position de repos — et ce, dans toutes les applications, pas seulement dans Vim.

Pour cela on définit un layer, que l’on implémente via QMK ou ZMK si on utilise un clavier programmable, ou avec Kanata si on est sur un clavier de laptop.

C’est ce que l’on propose avec Arsenik, qui donne une couche NavNum avec un appui long sur la barre d’espace :

Pavé de flèches à gauche, pavé numérique à droite

Personnellement j’ai opté pour un layer de navigation plus vimiste, avec les flèches en hjkl et Esc en accès direct sous un pouce :

Contrôles à gauche, pavé de navigation à droite

Plutôt que de configurer n applications pour remapper HJKL avec un résultat souvent imparfait, on utilise donc un layer dédié. Même sans clavier programmable, une seule configuration Kanata est plus simple à maintenir que n configurations d’applications.

La vie après HJKL

Après une semaine de test y a pas photo : ne pas utiliser h et l c’est le pied !

Le fait de ne pas remapper les touches par défaut en Ergo‑L est LE game changer : ça facilite énormément l’apprentissage sans avoir à se dire « ah mais ce truc, ça se fait comment avec mes mappings ? ».

J’ai plus progressé en Vim en quelques jours grâce à ça qu’en quelques années avec mes mappings Bépo hasardeux.

Vincent Jousse, auteur de Vim pour les humains

Déplacements verticaux

Avouons-le de suite : se passer de jk n’est pas immédiat. C’est la raison pour laquelle Ergo‑L, comme toutes les dispositions qui utilisent la couche de symboles Lafayette, a + et - en AltGr sur ces deux touches. L’action de + et - étant très proche de j et k, c’est utilisable sans aucun mapping : on a le même confort qu’en Qwerty ou Azerty pour ces deux actions, il suffit de presser AltGr.

Mais il ne faut pas se contenter de ces deux touches pour les déplacements verticaux. Vim propose notamment :

La couche AltGr a été optimisée pour Vim, et la position de { et } en est une conséquence.

Déplacements horizontaux simples

La première étape consiste à naviguer mot à mot plutôt que case à case : plus rapide, plus précis. On a ainsi :

Et on ne cherchera pas à corriger un mot lettre à lettre. Au contraire, on réécrira systématiquement le mot en entier :

On utilisera donc :

Ce dernier ciw utilise ce qu’on appelle un text object. Maitriser ce genre d’opérations permet de s’économiser encore des actions dans Vim.

Déplacements horizontaux avancés

Les commandes f F t T fournissent une façon plus rapide de se déplacer horizontalement :

J’utilise ces mouvements pour aller plus vite à un mot donné qu’avec une succession de w ou b. C’est particulièrement efficace quand on vise un caractère spécial (cas fréquent pour du code), mais ça reste rapide en ciblant une lettre… ou même tout simplement l’espace.

On peut aussi utiliser ces mouvements pour cibler une lettre spécifique à corriger dans un mot. Je préfère corriger par mots entiers avec ciw (voir plus haut), mais ça peut être pratique. Par exemple, pour corriger la phrase suivante alors que le curseur est en fin de ligne :

J’aime taper dans Vmi sans faire de fautes.

… il suffit de faire TVxp.

De base, ces déplacements sont limités à la ligne courante. Des greffons comme clever-f ou Fanf,ingTastic; étendent ce comportement au document entier tout en proposant des améliorations ergonomiques, et en conservant la logique f F t T.

Déplacements façon « EasyMotion »

EasyMotion (Vim), leap.nvim ou flash.nvim (Neovim) utilisent une logique proche de f F t T mais en utilisant deux caractères cibles au lieu d’un seul. Cela permet de se déplacer très rapidement dans tout le document, en profitant d’une aide visuelle.

On se rapproche alors du comportement de Vimium. Ces greffons peuvent faciliter grandement les déplacements dans Vim ou Neovim pour les débutant·e·s, et les utilisateurices avancé·e·s gagneront encore en efficacité.

~/.vimrc

Bien que Vim fonctionne out of the box avec Ergo‑L, j’utilise cinq mappings pour me faciliter la tâche :

nnoremap + gj
nnoremap - gk
nnoremap , ;
nnoremap ; ,
nnoremap <C-c> <C-i>

C’est l’occasion de mentionner d’autres mappings sans rapport avec Ergo‑L mais que je recommande vivement quelle que soit la disposition de clavier utilisée :

nnoremap Y y$
nnoremap U <C-r>
nnoremap Q q:
nnoremap <Space> <Nop>
let mapleader=" "

Pour aller plus loin

Je considère que les panneaux latéraux avec une arborescence de fichiers sont un anti-pattern. Vim propose des fonctions de plus haut niveau bien plus efficaces pour naviguer entre plusieurs fichiers, notamment :

Ce sont deux domaines où Neovim est sensiblement supérieur à Vim. Telescope est vraiment magique. <3

Vimification du bureau

On peut profiter de l’ergonomie vimiste sur l’ensemble du bureau. Parmi les outils dont j’aurais du mal à me passer, il y a :

Avec ces outils, je n’ai plus l’usage de la souris : je fais quasiment tout au clavier, et l’émulation QMK de mon Ferris suffit pour les rares cas où je dois déplacer le pointeur.

⁽¹⁾ Sous Windows, Komorebi serait une alternative à tester.

Conclusion

Adepte du Qwerty (version Lafayette) depuis plus de 15 ans, je craignais de perdre en confort sous Vim avec Ergo‑L. À l’usage, le seul inconvénient que je vois c’est de devoir maintenir AltGr pour les déplacements verticaux j/k — mais ça s’enchaine très bien avec {/} et ^/$ en main gauche, donc le niveau de confort reste similaire.

Adepte du déplacement mot à mot, je pensais ne pas utiliser h/l du tout mais le passage à Ergo‑L m’a prouvé le contraire : je les utilisais souvent pour un seul caractère. F et T étant bien placés en Ergo‑L, je les utilise désormais beaucoup plus et ça m’évite des successions d’appuis sur W et B.

Pour le reste, je n’ai pas ressenti de frictions sous Vim en passant à Ergo‑L. Il y a même des gains inattendus, comme avoir N en position de repos et le point sur l’autre main.

Ergo‑L a été conçu par des Vimistes, et ça change tout !

J’en profite pour remercier Lobre, Lafayettiste et Ergonaute de la toute première heure, utilisateur avancé de Vim et Kakoune, à qui l’on doit l’essentiel de cette couche AltGr — et en particulier son adaptation pour Vim.